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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 19:32

Depuis 2009, plus de 25 moines et moniales ont choisi de mourir en s’immolant par le feu.

Entretien avec Sofia Stril-Rever, auteur avec le dalaï-lama du livre Appel au monde  (1) et fondatrice du groupe «  Dalaï lama-Le combat politique » sur Facebook.

 Le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala (Inde du Nord) et les Tibétains en Chine et dans le monde ont décidé de ne pas célébrer, cette année, le  nouvel  an tibétain qui a commencé mercredi 22 février. Pourquoi ?  

 Sofia Stril-Rever :  Au Tibet, on ne fête pas le Losar  (nom du Nouvel an tibétain, une des fêtes bouddhiques les plus importantes au Tibet) quand on a un décès dans sa famille. Aujourd’hui, tout le Tibet est en deuil, dans l’actuel contexte de répression implacable et avec les immolations, comme l’a rappelé Lobsang Sangay Tashi Delek, premier ministre du gouvernement tibétain en exil. 

Celui-ci a demandé cependant aux Tibétains d’observer les rituels traditionnels en allant au monastère, en faisant des offrandes, en allumant des lampes à beurre pour tous ces Tibétains à l’intérieur du Tibet qui se sont sacrifiés et qui ont souffert sous les politiques répressives du gouvernement chinois.

 Au total, combien de moines et de moniales tibétains ont-ils trouvé la mort en s’immolant ?  

Depuis la première immolation d’un jeune moine en 2009, dans le monastère de Kirti (dans la province chinoise du Sichuan correspondant à la province traditionnelle tibétaine de l’Amdo), quinze moines et deux moniales s’étaient déjà immolés. Et ils sont encore une dizaine depuis le 1er janvier 2012 ! La dernière immolation date de samedi 18 février, toujours dans la province du Sichuan…

 Pourquoi choisissent-ils de s’immoler ainsi publiquement ?  

S’immoler par le feu, c’est faire offrande de son corps pour tous les êtres vivants, y compris pour les Chinois. Dans la culture bouddhiste tibétaine, il s’agit d’une offrande de lumière : pour devenir signe de lumière pour les autres, pour purifier l’humanité de l’ignorance et l’aider à entrer sur le chemin de la sagesse, de l’éveil. 

La souffrance provoquée par une immolation est intense, et généralement la personne reste consciente jusqu’au bout. De telles immolations ne sont donc pas des gestes de désespoir, des suicides – les Tibétains refusent de les qualifier ainsi –, mais, pour eux, des actes d’amour et de paix.

 Selon l’association américaine    Human Rights Watch  , les forces de sécurité chinoises auraient récemment arrêté quelque 700 Tibétains. Est-ce exact ?  

Oui, c’est la première fois depuis la fin des années 1970 que les autorités chinoises arrêtent un aussi grand nombre de laïcs tibétains. Ces 700 hommes et femmes ont été arrêtés alors qu’ils rentraient d’Inde où ils étaient allés suivre à Bodhgaya, du 29 décembre au 12 janvier, les enseignements du dalaï-lama. J’étais avec eux à Bodhgaya. 

Au total, 7 000 avaient reçu un visa pour aller en Inde, mais 10 % d’entre eux ont été arrêtés à leur retour et aussitôt envoyés en camp de rééducation, sans aucune communication avec leurs familles ; ils vont y rester jusqu’en mai… Ces Tibétains arrêtés possèdent des passeports chinois valides et ne sont accusés d’aucun crime, comme la possession de documents illicites. 

Les 6 300 autres Tibétains qui ont pu rentrer chez eux sont obligés de suivre des séances de rééducation au cours desquelles ils doivent collectivement renoncer au dalaï-lama, l’accuser de séparatisme criminel et faire allégeance au gouvernement chinois. De même, dans les monastères, les images de Bouddha sont remplacées par des photos des cadres du Parti et les moines ou moniales sont obligés de se prosterner devant. Cela explique aussi pourquoi les monastères se sont vidés ces derniers temps.

 Quelles sont vos craintes pour les mois à venir ?  

Un « Tian An Men » tibétain, c’est-à-dire un massacre du peuple tibétain. Des images satellites montrent que des convois de tanks et d’automitrailleuses sont amassés depuis quelques semaines sur les routes d’accès au Sichuan depuis Chengdu. Lobsang Sangay en a fait état pour justifier sa demande d’une intervention des Nations unies pour protéger le Tibet. 

Le Tibet est une prison à ciel ouvert, et les Tibétains sont un peuple martyr. Et en Chine, tous ceux qui protestent contre la dictature sont écrasés de la même manière. Mais les médias occidentaux n’en parlent pratiquement jamais.

 Il faut dire qu’aucun journaliste ou touriste étranger n’est autorisé à pénétrer au Tibet…  

Oui, en effet. Et depuis janvier, aucun touriste chinois non plus… Tous les déplacements sur routes sont surveillés et les Tibétains en Chine sont contrôlés en permanence, sans parler des liaisons téléphoniques et Internet qui sont coupées. 

Selon la poétesse Tsering Woeser qui est parvenue récemment à faire sortir des informations, la vieille ville de Lhassa (capitale provinciale du Tibet, NDLR) , où vivent désormais 1,2 million de Chinois Han pour 200 000 Tibétains, est encerclée par un lourd dispositif militaire. 

C’est ce qui est le plus douloureux pour les Tibétains âgés : ceux qui sont en exil savent qu’ils ne reverront jamais le Tibet, et ceux qui sont au Tibet savent qu’ils ne reverront jamais le dalaï-lama.

(1) Ce livre (Seuil, 2011, 368 p., 19 €) retrace le combat non violent des Tibétains pour la paix. 

RECUEILLI PAR CLAIRE LESEGRETAIN

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