C’est inépuisable. C’est une corne d’abondance, une machine à film et à fric. Stephen King a été adapté prêt d’une cinquantaine de fois, et a inspiré une foultitude de réalisateur. Un truc de malade… Kubrick, Carpenter, de Palma, Cronenberg en ont tiré le meilleur, Kasdan et certains tâcherons ont fait de vrais bides ( « Dream Catcher », « Peur Bleue »… ), la télé câblée américaine a profité et profite toujours de la manne, bref, Stephen King, en plus d’être un auteur ultra prolifique, est aussi la véritable poule aux œufs d’or des grands et petits écrans.
Un style simple, une construction narrative rôdée à l’extrême, plus qu’un génie de la littérature, King est surtout une formidable artisan plein d’idées géniales. Mais, bizarrement, peu de films arrivent à transposer sur pellicule des œuvres à priori si évidentes.
Le problème, c’est que King installe ses histoires sur des dizaines de pages avant de passer à l’action. Il nous conte des histoires qui offrent autant de possibilité d’adaptation qu’il y a de genre dans le cinéma. « Shining » est un chef d’œuvre indéniable, mais Kubrick n’adapte pas, il interprète. Idem pour « Carrie », « Dead Zone »… Et lorsqu’on tente de coller au texte, lorsqu’on veut se plier au schéma très particulier de l’auteur, le format télé s’impose, et la qualité se perd dans des téléfilms fleuves ( « Rose Red », « LesTommyKnockers »… ). Non pas qu’ils soient réellement mauvais, mais plutôt qu’ils s’épuisent assez vite, et bénéficient d’un budget trop limite pour les visions de cauchemar qu’ils sont sensés nous délivrer.
Deux réalisateurs sont devenus les alter ego du King aux yeux du public, chacun dans son registre. D’un côté, Mike Garris, Monsieur « Masters of Horrors » ( une anthologie télé regroupant des vétérans de l’horreur comme Landis, Carpenter, Argento… ), qui préfère quand ça saigne, un fan de l’auteur dans sa version horreur. Puis il y a Frank Darabont.
Après avoir été un scénariste de série B à tendance Z ( « Freddy 3 », le remake du « Blob », et « la Mouche 2 », que du bon ! ), il prend tout le monde à contre pied en réalisant en 94 « Les évadés », avec Tim Robbins et Morgan Freeman, rejoignant ainsi Rob Reiner et son très beau « Stand by me » ( 1986, ben vouais, ça rajeuni pas tout ça… ), les deux préférant promouvoir un aspect moins commun de la bibliographie de King, sans vampires ni dimension parallèle.
1999, Darabont remet le couvert avec autant de succès en tournant « La ligne Verte », toujours dans une veine plus intimiste que fantastique, puis il semble arrêter sa fixation sur l’écrivain du Maine… jusqu’à « The Mist ».
Plus technicien qu’auteur, son classicisme servait à merveille ses deux précédentes adaptations, mais montre ses limites dans le cadre d’un film beaucoup plus ouvertement fantastique… ce qui pousse Darabont à ramener son film vers l’intimisme. Vous me suivez ? Pas grave, on reprend.
Darabont aime poser des situations fortes, regarder ses personnages se démener avec leurs consciences, et, sans pour autant pondre des chefs d’œuvres, nous livrer des films honnêtes. La trame de base de « The Mist » ne pouvait que lui plaire : une cinquantaine de personnes se retrouvent bloquées dans un supermarché par un brouillard cachant des créatures monstrueuses. Elle lui plait tellement qu’il déroge à la règle que semblait avoir gravé dans le marbre la grande majorité des précédentes adaptations de Stephen King : Darabont emprisonne les protagonistes au bout d’une quinzaine de minutes, là où les autres étalés les présentations sur un bon tiers du métrage.
Puis il lance la guerre psychologique… Ceux qui veulent fuir contre ceux qui veulent se terrer, les faux courageux vraiment cons contre les braves obligés d’être fort, les croyants contre les non croyants… Les possibilités sont immenses, et force est de reconnaître que Darabont maintient le tout avec une véritable maîtrise. Si grande d’ailleurs que le film perd de sa force lorsque le surnaturel entre en jeu. Comme si les créatures ( du reste assez bâclées visuellement ) ne l’intéressaient pas vraiment, tant la force de la situation est suffisante sans y inclure l’élément surnaturel. Le réalisateur ne commet pourtant pas l’erreur de totalement foirer leurs différentes apparitions mais elles ne réussissent vraiment à nous scotcher au siège que lorsqu’elles sont rattachées à cette fameuse dimension humaine ( l’attaque dans la réserve est d’ailleurs une leçon d’équilibre entre psychologie et horreur brute : magistral ).
Mais si le film devait rester dans les mémoires, ce serait grâce à son final. Sans être une parfaite réussite ( le superbe titre des Dead Can Dance, « The Host of Seraphim », en plus de ne pas être un choix très judicieux, est en plus coupé en plusieurs segments qui l’amputent totalement de sa force dramatique ), il fait montre d’une noirceur, et, surtout, d’un cynisme incroyable. Beaucoup utilise ces termes à chaque fois qu’un réalisateur décide de zapper le bon vieux happy end. Darabont va beaucoup, mais alors beaucoup plus loin que la quasi totalité de la production américaine ( mondiale ? ) actuelle. Maladroitement, il nous livre sa déclaration d’amour désespérée à l’être humain : VOUS êtes les fautifs, VOUS vivez dans votre monde fait de paranoïa, VOUS n’avez plus d’espoir. Comme un enfant pointant le canon de son arme sur sa tempe sous les yeux de ses parents pour leur prouver qu’ils l’ont poussé à ce geste désespéré. Maladroite, cauchemardesque, et ultime, la fin que nous livre Darabont nous pousse à le respecter. Bravo.